Episode #4 - De la première question au premier pas : le recrutement appréciatif en cinq actes

Temps de lecture : 10 min

Note au lecteur.trice : ce texte s’adresse à toutes et à tous, sans distinction, et chacun.e est invité.e à y trouver sa place quelle que soit la forme grammaticale utilisée.

Il est huit heures trente. Une salle encore silencieuse, deux chaises qu’on rapproche, la vapeur d’un café. Dans dix minutes, un regard croisera un autre ; une première poignée de main. Dans dix mois, cette même personne mènera peut-être l’aventure la plus délicate de l’entreprise. Dans deux ans, chacun se souviendra du défi relevé ensemble, du client satisfait et des résultats robustes.

Dans cette série inédite « dialogues bymaïa - accoucheurs de nouveaux possibles : faire vibrer les organisations par les dialogues », nous avons exploré la puissance de la démarche appréciative comme carburant du changement, posture renouvelée de leadership, support pour une réflexion stratégique portée sur l’ambition et le sens.

Reste à tester la cohérence de cette posture au seuil peut-être le plus sensible des relations dans les organisations : la rencontre entre un collectif et celle ou celui qui pourrait le rejoindre.

Ce quatrième et dernier épisode ouvre la porte du recrutement et propose la métamorphose d’un processus de recrutement classique en un dispositif collectif conversationnel et génératif et dans lequel toutes les parties prenantes ont leur rôle actif à jouer.

Cinq actes - un fil rouge

Cinq actes, quelques principes bien placés, un fil rouge : le dialogue ne commence pas après la signature du contrat de travail ; il infuse chaque instant, de la première intention, du premier mot partagé jusqu’au premier succès célébré.

Acte 1 – Le cahier des charges : la chasse au sens avant la chasse aux compétences

Et si vous organisiez des conversations appréciatives pour identifier systématiquement ce qui fait la puissance de l'équipe quand elle est au meilleur d'elle-même et en faire ainsi un élément du profil recherché ? Et si vous invitiez toutes les parties prenantes à corédiger le cahier des charges pour renforcer les interactions existantes et faciliter les collaborations futures ? Et si les ingrédients particuliers de cette réussite collective (les forces) constituaient en réalité le cœur de votre cahier des charges, secondairement enrichi des compétences - expertises nécessaires à la tenue du poste ?

Au moment de définir les contours du poste à pourvoir en termes de missions – activités et de compléter ce cahier des charges sur les volets compétences – expériences – soft skills, le recruteur appréciatif réunit l’équipe pour dérouler aussi le fil de ses plus belles réussites : chaque personne revient sur un instant où le collectif s’est senti à la fois utile, fier et vivant … parce qu’au-delà d’un inventaire de compétences et d’expériences, le recrutement , c’est d’abord une histoire collective !

Ces récits dévoilent les forces qui circulent dans l’organisation et qui constitueront des marqueurs forts à rechercher chez les candidats … les fameux critères de sélection : l’audace qui fait dépasser les écueils habituels, la solidarité qui fluidifie les passes décisives, la créativité qui ouvre des chemins inattendus ...

Le recruteur appréciatif invite systématiquement le groupe à répondre à cette question : « Quand nous aurons recruté notre futur (…) et aurons réussi le déploiement des projets, qu’aurons-nous vraiment, vraiment, vraiment fait évoluer, réussi, relevé comme défi ? Quelle contribution aurons-nous réellement apportée ? »

La question fait sauter les réponses polies, balaie les évidences et oblige à nommer l’impact concret que l’on veut générer collectivement.

Une fois ce cap formulé, le groupe revisite ses récits à la lumière d’une seconde interrogation : « Parmi toutes les forces mobilisées jusqu’ici, lesquelles devons-nous absolument retrouver chez la personne qui nous rejoindra pour élargir notre capacité d’action et de réussite ? » Autrement dit, on ne cherche plus seulement ce que le candidat saura faire, mais ce qu’il saura amplifier : la capacité à transformer une contrainte réglementaire en innovation, l’art d’orchestrer une intelligence collective éclatée, ou encore la faculté de traduire un jargon technique en narration inspirante ...

Une troisième question vient affiner le portrait : « Pour que notre futur collègue libère ses forces, de quoi aura-t-il besoin autour de lui ? Quel soutien pouvons-nous lui apporter ? » L’équipe cartographie ainsi les conditions d’excellence de la coopération, explicite le non-négociable, anticipe les moyens nécessaires à une intégration réussie.

Le cahier des charges ressemble moins à une liste de tâches qu’à une promesse d’impact.

Acte 2 – La communication - sourcing : faire circuler une histoire plutôt qu’une annonce

Une fois le pourquoi (what for) solidement formulé, il coule naturellement dans tous les canaux de communication. L’annonce n’est plus un texte solitaire : elle se co-écrit autour d’une table où se croisent le manager qui accueillera la recrue, les professionnels de la fonction RH garants du parcours de recrutement, un ou deux collègues dont le travail sera directement impacté, et parfois même un client stratégique.

Le recruteur appréciatif permet ainsi à chacun de déposer dans l’annonce un fragment d’histoire collective ; le document final parlant ainsi d’une seule voix, écho d’un récit et d’une ambition de groupe (co-auteurs d’abord, acteurs ensuite !). En participant à l’écriture, les parties prenantes au recrutement s’approprient le projet ; lorsqu’ils relaient l’annonce sur leurs réseaux, ils ne partagent pas une « offre d’emploi », mais un épisode déjà inscrit dans leur vécu collectif.

Sans afficher de chiffres spectaculaires ni citer de référence nominative, les retours de cette démarche de co-écriture de l’annonce et de sa diffusion font état d’un gain de temps considérable : l’annonce attire des profils plus ciblés, plus alignés avec le récit collectif ; ce qui allège l’étape de pré-qualification.

La narration partagée sert de passerelle : elle attire ceux qui se reconnaissent dans le projet et laisse filer, sans heurts, ceux que la mission inspire moins. L’annonce co-construite ne remplit pas seulement un vivier ; elle prépare déjà une collaboration fondée sur des mots, des valeurs, une vision et des vécus en commun.

Acte 3 – Préqualifier et évaluer : des entretiens qui explorent les forces sans lâcher l’exigence 

Et si, ensuite, vos entretiens de recrutement se transformaient en dialogues authentiques basés sur des situations professionnelles au cours desquelles chacun présente la meilleure version de lui-même ; ses forces et des moments dont il peut être fier ?

Tout au long du parcours de recrutement, chacun prolonge la dynamique appréciative à sa manière, sans jamais se détourner du cahier des charges qui sert de boussole cachée.

Au téléphone, le recruteur appréciatif peut par exemple inviter le candidat à rallumer un souvenir où son travail a véritablement déplacé les lignes : « Quand votre action a-t-elle, pour la dernière fois, changé la donne pour un client ? » Puis, tout naturellement, toujours guidé par les conditions d’excellence définies en amont, il glisse : « Si vous vouliez revivre cette situation chez nous, de quels appuis auriez-vous besoin ? » La conversation respire, l’énergie de l’engagement monte et on devine déjà si le paysage souhaité par le candidat épouse celui de l’équipe.

Le face-à-face avec le manager, lui, peut se tourner davantage vers l’avenir. Après avoir écouté une décision éclair qui a galvanisé l’ancienne équipe du candidat, il propose : « Imaginons votre premier projet ici ; quel serait, pour vous comme pour le service client, un instant de fierté partagé ? » Sans en avoir l’air, cette question teste l’autonomie attendue sur un terrain peu balisé, tout en esquissant la collaboration qui pourrait naître dès les premières semaines.

Lorsque l’entretien est confié à un consultant externe, l’exploration s’élargit encore : on demande comment une contrainte réglementaire apparemment bloquante s’est transformée, sous l’impulsion du candidat, en levier d’innovation — exemple concret à l’appui. On sonde aussi ce qu’un collègue dirait spontanément pour décrire sa manière unique de créer de la valeur. Ici encore, les questions ne sont pas posées pour « faire joli » ; elles ciblent des aptitudes clefs nommées dans le profil recherché, qu’il s’agisse de négocier entre métiers ou d’embarquer des partenaires externes.

À chaque étape, le ton reste celui d’une conversation qui cherche des forces plutôt qu’un interrogatoire qui piste la faille.

Le candidat raconte, s’écoute, se découvre parfois. Le manager aussi raconte, s’écoute, se découvre parfois.

On conclut toujours par un pas vers l’action à venir. Ainsi, l’échange ne se contente pas de promesses abstraites ; il se ferme sur un acte tangible qui, déjà, commence à écrire le chapitre suivant de l’histoire commune.

La rigueur de l’évaluation demeure intacte — on vérifie bien les compétences et les résultats attendus — mais on l’aborde par la porte des réussites, là où se révèlent les ressources réelles et les conditions qui permettront, demain, d’honorer la mission.

L’entretien individuel de recrutement appréciatif ressemble finalement à une traversée en quatre souffles plutôt qu’à un flot de questions mécaniques.

  1. Premier souffle : planter le décor. Avant la moindre anecdote, le recruteur trace les lignes d’horizon : pourquoi le poste compte, quelles forces lui donneront de la portée, quels défis l’attendent dès l’aube. En quelques phrases, le candidat voit se dessiner une scène précise et sait déjà où ancrer son récit.

  2. Deuxième souffle : retourner à la source. On ne déroule pas un CV ; on choisit une victoire récente comme porte d’entrée : « Emmenez-moi là où votre travail a déplacé les lignes ». Tandis que l’histoire prend forme, le recruteur appréciatif capte les talents mobilisés et, surtout, le paysage qui les a fait éclore : marge d’autonomie, vitesse de décision, regard des pairs… L’échange est exigeant tout en restant ancré dans le concret des réussites.

  3. Troisième souffle : ouvrir la fenêtre du futur. Après avoir parcouru hier, on invite demain : « Imaginez votre premier trimestre parmi nous ; décrivez un instant de fierté que vous partageriez avec l’équipe. » Naît alors, presque sans effort, une feuille de route spontanée où le manager mesure l’alignement (ou l’écart) entre l’ambition du candidat et les enjeux du rôle.

  4. Quatrième souffle : accrocher l’action. On quitte le “un jour” pour le lundi matin tout proche : « Quel premier geste poseriez-vous, dès votre arrivée, pour faire décoller ce projet ? ». Lorsque le geste est concret et connecté au défi, le recruteur tient la preuve d’un passage aisé du rêve à la pratique ; sinon, on creuse encore un peu.

Acte 4 – Sélection finale et décision : éprouver la collaboration plutôt que la juger

Et si vous animiez des séances collectives en mode appréciatif avec les candidats présélectionnés pour les rendre acteurs de votre propre projet d'équipe dès leur entrée en relation avec vous ?

Une fois cette traversée accomplie, la logique appréciative glisse dans un temps collectif, non pour juger, mais pour éprouver la collaboration. Finalistes, futurs collègues, manager et RH se retrouvent – en salle ou devant un tableau blanc – autour d’un défi bien réel : raccourcir un délai de livraison, imaginer un rituel de veille client, convertir une contrainte réglementaire en atout ou tout autre. Le cadre posé, chacun entre dans le jeu d’égal à égal.

Ce qui suit n’a rien d’un examen ; c’est un premier vrai travail partagé.

Le candidat mobilise ses forces, l’équipe mobilise les siennes ; on questionne, on rebondit, on prototype à main levée.

La RH apporte une donnée de coût, le manager rappelle une contrainte de planning, un opérateur signale une astuce éprouvée… L’objectif n’est pas de boucler le problème, impossible en une heure, mais d’observer la circulation des idées, le tempo des décisions, la qualité d’écoute. Peu à peu, chacun sent si la coopération naît naturellement ou s’enlise dans la courtoisie factice.

À la fin, aucune grille de notation ne vient figer l’instant. On débriefe à voix nue : qu’est-ce qui a stimulé ? quelle piste mérite d’être poussée ? où voit-on un véritable potentiel commun ? Ce retour croisé vérifie, sans solennité inutile, que les attendus du poste ont trouvé un écho observable. Puis la question miroir clôt la rencontre : « Si nous décidions d’avancer ensemble, quel premier pas collectif poserions-nous dès demain ? » La réponse dessine déjà les contours du lundi matin.

Ainsi, l’évaluation n’épuise personne ; elle révèle. Elle offre à chacun, l’espace d’une heure, un avant-goût du travail que le candidat accomplirait dans cette équipe, avec ce manager, dans cette culture. Et quand les regards se croisent au moment de se quitter, tout est souvent clair : si l’envie circule, la première pierre de l’avenir commun est déjà posée ; sinon, on se sépare avec la lucidité et le respect que mérite un test grandeur nature.

Acte 5 – Intégrer : ancrer la confiance dès le début

Et si vous proposiez à votre équipe de coconstruire avec le candidat sélectionné un parcours d'accueil et d'intégration inspirant qui permette à chacun de se projeter dans l'avenir avec confiance autour d'une vision clairement orientée vers les résultats ? Et si vous pratiquiez le feed-back appréciatif dans l'équipe, particulièrement en phase d'intégration, pour célébrer les succès, reconnaître la valeur de chacun, valoriser l'engagement collectif et renforcer les liens de coopération ?

L’on-boarding appréciatif commence au moment même où l’encre sèche sur le contrat.

A distance, l’équipe et le nouveau venu ouvrent un carnet d’embarquement partagé. On y glisse la promesse formulée lors de l’entretien (l’ambition), le défi choisi ensemble pour les premières semaines, les forces repérées chez chacun et les ressources déjà disponibles.

Tout s’écrit au présent, comme si la première semaine appartenait déjà au passé : « je rencontre mon binôme, nous cartographions le flux client, nous captons une amélioration de 5 % ... »

Quand arrive le jour J, il n’est pas question d’une tournée de bureaux protocolaire. L’équipe se réunit en cercle et déroule une micro-phase de découverte appréciative (étape 2 du cycle 5D décrite dans le premier article de cette série) : chacun raconte en deux minutes le moment où il s’est senti le plus utile ces derniers mois.

Le nouveau collègue boucle la séquence en partageant, à chaud, ce qu’il vient de saisir de la culture maison. On affiche aussitôt ces histoires sur un mur — repères concrets qu’il pourra revisiter. Le manager rappelle alors, sans emphase, le « pour quoi » du poste et les jalons fixés ensemble ; l’abstraction cède la place à un récit déjà incarné.

Les jours suivants, chaque rencontre interne s’ouvre par une question appréciative : « quelle réussite récente de ton service pourrait inspirer notre nouvel équipier ? » Les réponses alimentent une banque d’histoires vivantes, tandis que le binôme d’accueil veille à ce qu’aucune victoire même minuscule ne passe inaperçue.

Le carnet partagé recueille ces premiers pas : une idée de visuel qui fluidifie le suivi de production, une astuce pour réduire un rebut... À la fin de chaque semaine, on s’arrête, on nomme, on célèbre.

L’on-boarding appréciatif devient apprentissage mutuel, jamais simple assimilation.

Trente jours plus tard, l’équipe revient autour du carnet. On confronte l’intention et le vécu, on décide ce qui mérite d’être amplifié, on ajuste le défi initial si besoin, puis on projette déjà les réussites à quatre-vingt-dix jours.

La clôture de la période d’intégration n’est pas une checklist administrative mais un moment ordinaire — un café partagé, deux anecdotes, un clin d’œil vers le chemin parcouru.

Le nouvel embauché n’a pas seulement « pris son poste » : il a déjà laissé une empreinte.

Conclusion – les récits révèlent, les chiffres suivent

Les données extérieures confirment l’impact réel de cette approche : une expérience-candidat soignée accroît en moyenne de 25 % l’acceptation des offres (Talent Board Candidate Experience Research) ; un onboarding « exceptionnel » rend les nouvelles recrues 2,6 fois plus susceptibles d’être extrêmement satisfaites et donc de rester (Gallup Workplace Insights). Quant à l’approche centrée sur les forces, elle réduit jusqu’à 15 % le risque de départ prématuré (HR Magazine, 2024).

La série "dialogues bymaïa" - accoucheurs de nouveaux possibles : faire vibrer les organisations par les dialogues - consacrée à la Démarche Appréciative, prend fin avec cet ultime article sur le recrutement appréciatif.

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Episode #3 - Démarche appréciative  : quand l’engagement devient un acte de gouvernance