Episode #4 - Recruter : une même montagne, deux sentiers qui s’entrelacent
Temps de lecture : 7 min
Le hall sent le café fraîchement moulu ; un badge provisoire, un nom tracé au feutre, un sourire un peu tendu. Le recrutement reste cette alchimie délicate où se rencontrent une histoire d’entreprise, un tempérament, un projet qui évolue plus vite que les organigrammes.
Longtemps, on a parcouru ce chemin avec une lampe de poche orientée vers les risques : combler les trous de CV, débusquer les failles, vérifier la solidité technique. Rien d’inutile — au contraire, les garde-fous rassurent. Pourtant, de plus en plus d’équipes sentent qu’il manque un autre éclairage : celui qui révèle les forces déjà présentes et leur capacité à se compléter pour en amplifier l’impact.
C’est précisément ce second faisceau que propose l’Appreciative Inquiry. Pas un virage à 180°, mais un déplacement du regard : on continue de mesurer, d’exiger, de sécuriser ; on choisit simplement de commencer par explorer ce qui marche, parce que c’est là que l’énergie devient contagieuse.
Pour montrer la nuance sans caricaturer, suivons les deux approches comme deux sentiers parallèles serpentant sur la même montagne. Cinq haltes, mêmes enjeux, des façons parfois différentes de les servir, et au bout, la même ambition : hisser l’équipe plus haut que la veille.
Ce quatrième et dernier épisode ouvre la porte du recrutement et propose la métamorphose d’un processus de recrutement classique en un dispositif conversationnel génératif et dans lequel toutes les parties prenantes ont leur rôle actif à jouer.
Cinq haltes - un fil rouge
Halte 1 — Avant l’annonce : éclairer le pourquoi avant de détailler le comment
Dans la plupart des organisations, la préparation d’un recrutement débute par la rédaction d’une fiche de poste. Le manager ouvre un document, énumère missions, KPI, soft skills. L’exercice est rassurant : il cadre la fonction, clarifie les responsabilités, rassure la gouvernance. Mais lorsqu’il manque la boussole du pourquoi, la fiche peut ressembler à une liste d’épicerie où chaque ligne se vaut.
Le sentier appréciatif propose un détour inspirant. On réunit ceux qui vivront au plus près la réussite du futur collaborateur : direction, RH, manager, parfois un client complice qui subira (ou célébrera) les effets de la mission. Chacun évoque un moment où l’équipe s’est sentie plus que performante : un projet sauvé in extremis, une innovation surgie d’une contrainte, une coopération éclair entre métiers. Ces récits font affleurer l’audace, la curiosité, la capacité d’entraide qui circulent déjà.
Lorsque l’atmosphère est chargée de ces images, une question résonne trois fois, comme un gong japonais :
« Si cette mission réussit, qu’aurons-nous vraiment, vraiment, vraiment changé ? »
La première réponse formulée est courtoise ; la seconde, plus dense ; la troisième, brute et lumineuse. Là surgit la raison d’être vivante du poste : peut-être « rendre la mobilité durable accessible à tous » ou « transformer chaque contrainte réglementaire en innovation servicielle ».
À partir de ce why, on dessine un portrait qui n’est plus un simple empilement de compétences mais la figure d’un amplificateur : capacité à orchestrer l’intelligence collective, talent pour traduire un jargon en récit inspirant, appétit pour les métriques d’impact.
Enfin, on cartographie les conditions d’excellence de la coopération au service du projet : degré d’autonomie, boucles de feedback, rituels de célébration. Le cahier des charges devient promesse, l’annonce future … un appel à l’aventure plutôt qu’un inventaire.
Halte 2 — L’annonce : diffuser une histoire plutôt qu’une énigme
La plupart des annonces publiées aujourd’hui sont honnêtes : elles décrivent les tâches, listent les prérequis, résument la culture. Pourtant, beaucoup de candidats les survolent, pressés de décoder les mots-clés ATS et d’envoyer, en retour, une lettre gommée de sa singularité. Personne n’est vraiment à blâmer : quand l’offre ressemble à une fiche technique, la réponse y ressemble aussi.
Sur le sentier appréciatif, on décide que la forme doit respirer le vécu. Le manager, la RH, deux futurs collègues et, parfois, un client stratégique se retrouvent pour écrire ensemble dix lignes maximum. Les phrases sont courtes, incarnées : « Ici, nous accélérons la transition bas-carbone des livraisons », « Quelle que soit votre expertise, on vous demandera d’apprendre encore ». Le texte de l’annonce porte déjà le timbre de toutes les voix posées autour de la table ; il n’annonce pas un poste, il raconte un chapitre prêt à s’ouvrir.
Quand ce message circule sur LinkedIn, un phénomène se répète : certains candidats se reconnaissent d’instinct et cliquent avec enthousiasme ; d’autres, tout aussi légitimes, préfèrent passer leur tour parce qu’ils ne vibrent pas pour la cause. Le vivier se resserre mais la justesse augmente : moins de CV à trier, davantage d’alignement, et un temps median de préqualification réduit d’un tiers.
Halte 3 — Le premier contact : sonder la réussite avant de traquer la faille
Les recruteurs aguerris connaissent la valeur d’une bonne question sur l’échec (communément appelée : difficulté non surmontée) : elle révèle la capacité à rebondir. Rien n’oblige à la bannir. Le déplacement appréciatif consiste simplement à commencer par l’autre pôle :
« Racontez-moi une situation où votre travail a vraiment changé la donne pour un client. Qu’est-ce qui, autour de vous, a rendu cette réussite possible ? »
Le candidat expose ses talents, mais, surtout, décrit le paysage qui les a fait ressortir : temps de décision court, confiance du manager, latitude budgétaire… Immédiatement, la RH vérifie la compatibilité avec la réalité interne — sans jugement : si l’écart est infranchissable, on le nomme, on se remercie, on gagne du temps. Si les conditions résonnent, la conversation s’éclaire ; l’énergie, plus vive, nourrit des réponses plus riches et plus nuancées.
Le manager, à son tour, regarde le futur :
« Imaginez votre premier projet ici ; quel instant de fierté partagerions-nous dans trois mois ? »
Le candidat improvise une feuille de route spontanée et le manager évalue en direct l’alignement entre l’ambition personnelle et l’enjeu du rôle.
Quand un consultant externe intervient, il plonge dans la personnalité professionnelle — ce mélange singulier de compétences, de moteurs internes et de posture. Il demande un exemple chiffré où une norme bloquante est devenue levier de croissance, puis raconte à son tour une réussite qui incarne la culture maison. Le dialogue cesse d’être un interrogatoire ; il devient résonance. On termine toujours par un ancrage concret :
« En repartant d’ici, quel premier geste poseriez-vous lundi pour recréer ce niveau d’excellence ? »
Le rêve touche terre.
Halte 4 — La décision partagée : éprouver la coopération plutôt que l’individu isolé
Dans beaucoup d’entreprises, la dernière ligne droite reste un entretien supplémentaire, parfois un test psychotechnique. Le procédé rassure ; il ajoute des données. Sur le chemin appréciatif, on propose un autre temps, sans supprimer celui-là. Une heure, un défi réel tiré du cahier des charges — par exemple raccourcir un délai critique sans sacrifier la qualité. Finalistes, futurs collègues, manager, RH et, s’il le faut, un client interne, se glissent dans la même salle ou sur le même Miro Board.
On se met d’accord sur l’objectif, on lâche le chrono ; chacun contribue. Un candidat structure, un autre pose une question qui ouvre un horizon, un opérateur propose un détour concret, la RH donne un coût, le manager rappelle une contrainte de planning. À la fin, le tableau est encore brut mais l’essentiel a eu lieu : on a vu comment les idées circulent, si les tensions se gèrent par l’écoute ou par la surenchère, si l’erreur stimule le rebond ou fige les esprits.
Pas de grille de notation à l’issue. Chacun partage ce qu’il a apprécié, la piste qu’il aimerait creuser, le premier pas qu’il imagine pour le lendemain. La question miroir clôt la séance :
« Si nous décidons d’avancer ensemble, quel pas collectif poserons-nous dès demain ? »
Souvent, la réponse se lit déjà dans les gestes et les yeux. Quand le courant passe, il devient presque physique ; quand il ne passe pas, on se quitte dans la clarté, sans jugement ni rancœur.
Halte 5 — Le premier succès partagé : transformer l’on-boarding en chapitre inaugural, pas en check-list
La plupart des parcours d’intégration font preuve d’une rigueur nécessaire : badge, ordinateur, signatures, modules e-learning. Pourtant la magie d’appartenance naît rarement d’un agenda plein de créneaux impersonnels. L’on-boarding appréciatif prend un autre élan dès la signature : un carnet d’embarquement partagé — promesse commune, défi des trente jours, forces repérées, ressources disponibles. Tout s’écrit au présent comme si la première semaine avait déjà été vécue : « Je rencontre mon binôme », « nous cartographions le flux client », « nous célébrons un gain de cinq pour cent ».
Jour J, on délaisse la tournée protocolaire pour un micro-Discovery (étape 2 du cycle appréciatif des 5D) : chacun, en deux minutes, raconte sa dernière sensation d’utilité ; le nouveau venu ferme la boucle, le manager rappelle le why. Durant le premier mois, chaque réunion démarre par une question appréciative — « Quelle réussite récente pourrait nourrir notre nouvel équipier, notre équipe, l’impact recherché ? » — et chaque mini-victoire rejoint le carnet. Au bout de trente jours, on confronte intention et réalité, on ajuste la trajectoire, puis on projette déjà les quatre-vingt-dix jours. Le collaborateur n’a pas « pris son poste » ; il a signé son premier succès partagé.
Les chiffres suivent : Talent Board mesure un bond de 25 % du taux d’acceptation d’offre quand l’expérience candidat est vécue ainsi, et Gallup observe que les recrues bénéficiant d’un onboarding solide sont 2,6 fois plus susceptibles de déclarer un engagement durable . HR Magazine signale jusqu’à 15 % de turnover précoce en moins lorsque l’on mise sur les forces .
Pourquoi tenter l’aventure ?
Parce qu’un recrutement n’est pas un acte administratif mais la première preuve de la culture que l’on prône ; parce que les métiers se transforment plus vite que les organigrammes ; parce que la génération qui arrive choisit autant une mission qu’un terrain de jeu où ses forces compteront vraiment. Le sentier appréciatif n’annule pas les repères classiques ; il les complète en donnant au processus une densité humaine qui se voit et se ressent.
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La montagne ne bouge pas ; le sentier que l’on choisit change tout.
Écrivons la prochaine section de votre guide.
La série "dialogues bymaïa" - accoucheurs de nouveaux possibles : faire vibrer les organisations par les dialogues - consacrée à la Démarche Appréciative, prend fin avec cet ultime article sur le recrutement appréciatif.
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